Comme un écho à la jolie note de Miss Lucy, voici la version de mon entrée au collège...
Fin des années 80, début des années 90. Nous sommes en région parisienne et je laisse derrière moi, ma petite école municipale du village où nous menons une vie simple : ma mère s’occupe de moi pendant que mon père travaille en "ville", en tant que directeur des ressources humaines, nous avons un chat, nous partons en vacances tous les étés chez ma grand -mère à Lyon et mon univers parait finalement assez privilégié.
Le collège est un établissement privé donnant sur la Seine où les élèves de parents aisés côtoient ceux moins chanceux que leurs parents envoient pour éviter le collège de la cité voisine. C’est un petit monde impitoyable que je semble découvrir : je n’avais été confrontée qu’à des histoires d’enfants, de billes et de jeux alors que déjà l’argent et les différences de classes sociales viennent perturber la cour de récré.
Je porte mes sweats » Naf-Naf » parce que je les trouve beaux, j’ai la chance d’avoir ce que je demande, je n’abuse pas de ce droit et je suis horrifiée de voir certains de mes camarades décider de parler à ceux qui portent des marques uniquement. Je me fiche royalement de savoir qui porte le dernier jean à la mode et me met à papoter avec tout ceux qui me paraissent sympas, je suis timide mais j’aime le contact, déjà un paradoxe sur pattes !
Mes amis sont de "partout" : il y a la gentille C. dont la mère est gardienne d’école dans la cité. Elle aime la campagne où elle va en vacances tous les étés et retournera s’y installer une fois adulte. F. est noire, une première pour moi. Elle vit aussi dans cette cité avec sa mère et ses nombreux frères et sœurs, elle ne comprend pas trop les math. Moi non plus, ça tombe bien ! Il y a S, la fille la plus « cool », elle est drôle, extravertie, juste ce qu’il faut de désobéissance, elle est pleine de joie de vivre. Les petits amis se succèderont. Il y a aussi cette fille d’origine pakistanaise très jolie mais un peu gamine et cette autre ado issue de la Dass si agressive, la petite rouquine dont les parents divorcés échangent les appartements uen semaine sur deux, pour ne pas pertuber l'enfant.
Mon avis sur les garçons est assez mitigé à l’époque : ils sont un peu bêtes, certains moins que d’autres heureusement. Il faut dire que j’ai du mal à assumer mes formes d’adulte. Grandir voulait donc aussi dire avoir des hanches, des seins mais j’aurais aimé que cela soit progressif…A 13 ans, il y a des petits cons, qu’ils soient fils d’ouvrier ou de patrons.
Les cours se passent bien, je suis toujours aussi timide et n’ose pas parler trop fort, surtout pas en anglais, j’ai trop peur de me ridiculisée. Il y a ce prof de dessin très sympa, cette dame aux cheveux gris qui me fera comprendre les fractions et j’adore ma prof de français, une jeune femme, premier poste je suppose qui aime nous faire étudier le théâtre. Je rédige déjà et lis avec plaisir les livres imposés.
Je suis en cinquième et je ne sais pas encore qu’à la fin de l’année, un déménagement se prépare et qu’une autre région, une autre école m’attend. Ma fête de départ sera géniale avec tous mes amis, à la maison, une première" boum" dans le jardin, mes parents passent une partie de l’après midi coincés dans leur chambre et puis viennent finalement rigolés avec nous, manger ces gâteaux achetés chez le pastisser et « I can’t dance « de Genesis restera toujours lié à ce mois de juin, dans mon esprit. Partir sera un déchirement.
Un autre collège privé, moins bcbg que le précédent et toujours autant d’hypocrisie. Les enseignants se vantent de faire notre éducation mais ne nous comprennent pas et ne semblent pas voir ces élèves si « parfaits », qui n’hésitent pas à faire bonne figure à la messe pour mal se comporter par derrière.
Dieu et moi, c’est une longue histoire. J’ai refusé de faire ma communion l’année précédente, j’ai ressenti trop de dégout envers ces jeunes qui participaient à ce folklore que pour les cadeaux.
J’ai exprimé mon refus, j’ai trop de respect pour les croyants pour me lancer à mon tour si je ne suis pas sure de croire autant en Dieu. Ma mère d’abord choquée, se montre fière de mon geste. Mon père travaille trop pour que je sache ce qu’il a pu en penser.
Je m’endors en écoutant Cabrel et Roch Voisine, je suis allée à tous ses concerts ainsi que celui de Bruel où papa portait encore son costume cravate, c’était trop la honte.
Il y aura ce voyage en Angleterre, une révélation. Cette année de troisième aussi. Sans doute une des meilleures de ma scolarité, je suis première dans de nombreuses matières, j’arrive même à faire mes exercices de math. Ma mère se rend aux réunions parents-prof avec un peu de gène, les autres la regardent de travers quand les enseignants parlent de moi. Il n’y a pas d’âge pour envier.
Je n’ai pratiquement pas gardé de contact, de cette époque. A part mon amie C. qui vit dans le Cher. La plus fidèle et la plus sincère, celle à qui je peux encore téléphoner. Des autres, j’ai parfois quelques nouvelles. J’évite cependant de repasser devant mon collège, j’en garde quelques mauvais souvenirs...
Et pourtant, ce jour de novembre, quand je me retrouve devant l’église, à l’enterrement de mon grand-père, je le regarde, tout à côté. Je vois que les fenêtres de la classe d’anglais sont ouvertes, je reconnais aussi la classe de ce professeur d’histoire-géo qui savait nous transmettre son savoir et cette confiance que je n’ai jamais retrouvée avec un autre enseignant.
On garde tous des sentiments contrastés de notre adolescence, les premiers coups de cœur, les premières déceptions, les choix d’adulte et autres fous rires que l’on n’oubliera jamais.
J’ai l’impression qu’une page se tourne enfin et que je peux plus sereinement passer à la suite, peut être parce que je sais maintenant ce qui est important ou pas.